Trois mots
/image%2F0734278%2F20201025%2Fob_d01a7f_humour.jpg)
Une fois encore, un "mécréant", un "kafir" a été assassiné en France au nom d'Allah.
Encore une fois, une fois de plus.
Je pourrais m'arrêter là, déplorer la violence du meurtrier et plaindre la victime.
Mais depuis que cette série d'assassinats a débuté, il y a cinq ans, un malaise profond, lancinant me tient.
Un malaise qui porte sur des mots : DROIT, HUMOUR, CARICATURE.
Que les choses soient claires, je ne me situe en aucun cas du côté des assassins, des porte-flingues, des allahouakbistes rageux et sanguinaires.
Non.
Mais j'ai un peu lu, un peu étudié l'histoire, un peu étudié la science.
Et j'ai appris quelques bricoles, comme le principe de causalités : une cause (ou un ensemble de causes) produit un effet. Modifier la, ou certaines des, cause(s) modifie l'effet.
Ainsi, historiquement, le nazisme n'est pas né de rien, il n'est pas de génération spontanée : il y a une histoire avant l'accession de Hitler au poste de chancelier.
Alors, oui, bien sûr, la France avait le DROIT d'humilier l'Allemagne vaincue en 1918, elle avait le DROIT d'exiger un impôt de guerre plus que colossal pour faire payer au boche les réparations causées par les obus teutons durant le conflit. Elle en avait le DROIT, et elle l'a fait. Quitte à placer l'ennemi de la veille (et du coup, du lendemain) dans une situation économique absolument désastreuse, dans un désespoir incommensurable, quitte à créer les conditions pour que toute une nation (ou presque, mais bien rares, bien isolés furent ceux qui trouvaient que ça allait trop loin) se jette dans les pas du premier moustachu vociférant venu.
Alors, je ne dis pas que la France de 1918 a créé Hitler, non. Mais elle a ensemencé le terreau de la misère d'où naissent les esprits de revanche et de haine.
Puis je lis que les musulmans devraient avoir le sens de l'HUMOUR.
Mais de quoi parle-t-on? Depuis quand est-on tenu de confondre HUMOUR et moquerie ? Lorsque je plaisante avec des amis, fussent-ils de rencontre, je sais qu'il y a des lignes à ne pas franchir (même si parfois, j'ignore lesquelles) : celles qui font la différence avec "rire avec" et "rire de".
Et, bien sûr, dans un cercle restreint, on s'autorise des outrances langagières que l'on ne se permettrait pas dans un espace plus large, ou sur la place publique : tel propos compris comme du "second degré", voire comme la "politesse du désespoir" pourrait blesser un auditeur non prévenu, le mettre mal à l'aise, le renvoyer à des douleurs personnelles profondes.
C'est toute la différence entre l'HUMOURr et la moquerie.
Or insulter quelqu'un, sa famille, sa croyance, ce n'est pas de l'HUMOUR. C'est un manque de respect. Il est aujourd'hui interdit d'insulter une personne au regard de son origine ethnique, de son orientation sexuelle, mais pas de sa religion. Or, n'en déplaise à certains, la religion (ou l'absence de religion, d'ailleurs) est partie intégrante de l'identité d'une personne à un moment donné. Quoique l'on puisse penser de tel dieu ou de telle religion lorsqu'on l'insulte, ce n'est pas tant le dieu ou la religion que l'on insulte, mais la personne qui s'identifie à cela. Et cette personne peut, légitimement, se sentir insultée.
Que l'on ne se méprenne pas : je n'ai personnellement nulle accointance avec le fondateur de l'islam, et je n'ai aucun problème à ne pas lui attribuer le titre de prophète. Mais je ne vois absolument pas l'intérêt de chercher à humilier celui qui croit qu'il en est un. Pas plus qu'il ne me viendrait à l'idée d'insulter une personne parce qu'elle est athée.
Enfin, je lis que la CARICATURE est une grande tradition française, qu'il faut se garder de mépriser. Ah, la belle tradition française, … n'a-t-on pas caricaturé les Juifs ? Que l'on ne se méprenne pas, la CARICATURE n'est pas, n'est jamais de l'humour. Mais une arme idéologique destinée à susciter le mépris, la haine. Aurait-on oublié les campagnes de CARICATURES anti-religieuses de la période soviétique, qui accompagnèrent des déportations massives vers ce que Soljenitsyne a appelé l'archipel du Goulag.
J'avais indiqué, il y a cinq ans, ce que les dessins de Charlie-Hebdo m'inspiraient, et lorsque j'ai vu les deux "caricatures" que le malheureux professeur Samuel PATY a choisi de montrer, je me suis dit qu'il n'était pas étonnant que certains (et pas seulement des musulmans) aient pu être heurtés, choqués.
Quand bien même il l'a fait dans un but didactique, l'un des dessins est ordurier, méprisant, indigne et indignant, et il me semble étonnant que des intellectuels soient surpris que cela ait pu indigner. Mais, QUI peut sourire en voyant ce dessin d'un Mahomet nu, de dos, les génitoires exposées, QUI peut trouver cela plaisant, QUI peut imaginer que c'est de l'HUMOUR, si ce n'est un gros beauf aviné éructant sa haine du bougnoule ?
Alors oui, le blasphème n'est pas un délit en France (Dieu Merci!) mais est-ce un DROIT (voire, un devoir) à employer toujours et partout sans discernement, peu importe qui l'on blesse, qui l'on humilie pour autant ?
Oui, la CARICATURE est un dessin, n'est qu'un dessin : elle peut blesser, mais ne tue pas. A ce niveau, il n'y a pas de commune mesure entre les dessins (moches et stupides) publiés dans Charlie et les meurtres que des frapadingues monstrueux ont commis. Mais, est-il toujours utile et nécessaire de blesser les consciences, les affects, les gens. Est-ce cela "vivre ensemble", voire "faire nation" ?
Oui, enfin, l'HUMOUR est une chose nécessaire, mais délicate à manier. Le "Durafour-crématoire" de Le Pen était certes un trait d'humour (selon lui) mais pouvait-il vraiment faire sourire des gens dont les parents avaient été assassinés dans les camps nazis ? Ou exprimait-il simplement son mépris pour ces mêmes Juifs ? Et dans ce cas, peut-on encore parler d'HUMOUR ?
Pour finir, je laisserai la parole à l'ancien pasteur de mon village, qui s'est fendu de nouveau d'une réflexion de laquelle j'extrais simplement un paragraphe :
Il faut être aveuglé par je ne sais quelle arrogance intellectuelle, je ne sais quel sentiment de supériorité culturelle ou sociale, je ne sais quel sentiment d'infaillibilité, voire je ne sais quel racisme post-colonial conscient ou inconscient, pour penser une seule seconde que l'on puisse convaincre qui que ce soit d'adopter nos valeurs "républicaines" en ridiculisant les siennes, notre morale en dénigrant la sienne, notre "liberté d'expression" en lui ordonnant d'abord de "la fermer" et d'admirer. On risque ainsi tout juste de désespérer les "modérés" et de les rendre sensibles à la propagande des extrémistes. On ne gagne jamais rien, et surtout pas le respect et l'écoute de l'autre, surtout si on a plus de facilité à s'exprimer que lui, en l'humiliant pour l'inciter à devenir ce qu'on est, comme si c'était la seule normalité. On ne gagne jamais le respect de l'autre si on se croit intellectuellement ou culturellement supérieur à lui ; on ne gagne jamais le respect de l'autre si on ne le respecte pas d'abord, ce qui veut dire engager un dialogue honnête sur les "valeurs" des uns et des autres (je ne parle pas de dialoguer avec les manipulateurs islamistes ; comme on disait de mon jeune temps : on ne discute pas avec des tourne-disques). Se renseigner est plus difficile que se contenter de slogans, expliquer est plus difficile que dénigrer ou caricaturer, ostraciser est plus facile que dialoguer.
*
* *
NB : le dessin qui sert d'illustration à ce billet avait été réalisé en 2015, mais trop "gribouillis" pour le poster sur le blog de Léon, il était resté dans mon carton. Je le sors pour l'occasion.