Encore un Grégoire !

Après Mendel et ses petits pois, après le Nazianzène, après Palamas, voici encore un Grégoire.
Grand érudit, médecin, astronome, philosophe mais néanmoins évêque (ou pour être plus précis « maphrien »), vivant dans le territoires allant de la Turquie à l'Iran actuels, au moment de l'expansion de l'empire mongol, il est surtout connu sous son nom latinisé de Bar Hebraeus, mais aussi comme Abu'l Faraj, voire Ibn al-'Ibrî.
A dire vrai, il est plus célèbre que vraiment lu, ses œuvres abondantes – connues des syriacisants – n'ayant guère été traduites jusqu'à présent .
C'est cependant à l'une d'elles que j'emprunte la réflexion qui suivra.
L'ayant peu étudié, c'est presque par hasard que j'avais croisé l'information qu'à sa mort en 1286, le patriarche nestorien Yahbālāhā III avait décrété une journée de deuil et d'absence de travail pour tous les chrétiens, en son honneur.
La chose a de quoi retenir l'attention : Grégoire était maphrien d'Orient depuis 22 ans, c'est-à-dire qu'il dirigeait l'Église jacobite dans les territoires dépendant autrefois de l'empire perse. Or, jacobite, c'est un peu le contraire de nestorien et les relations étaient généralement quelques peu tendues entre « jacobites », « nestoriens » et « melkites », chacun reprochant aux autres d'être insincères et de promouvoir une christologie bancale et donc un christianisme frelaté.
Or, tout au long de sa vie, dépassant les préjugés de l'époque,Grégoire entretint de bonnes relations avec les autres chrétiens.
D'où cela lui venait-il ?
En fait, il le raconte lui-même dans la quatrième partie du "Livre de la Colombe"1
Quand j'eus atteint l'âge de vingt ans, le patriarche d'alors me contraignit à accepter l'épiscopat. Alors, la nécessité m'amena à débattre avec les tenants des croyances différentes des miennes, parmi les chrétiens et les non-chrétiens, en des débats fondés sur le syllogisme et les objections. Or, après avoir étudié cette question pendant un temps suffisant, et après avoir médité là-dessus à loisir, je me suis persuadé que le désaccord existant entre les chrétiens ne s'appuie sur aucune réalité, mais seulement sur des mots et des termes conventionnels.
En effet, tous croient que notre Seigneur le Christ est Dieu parfait et homme parfait, sans que les deux natures ne se mélangent, ni ne se confondent, ni ne se troublent. Quant au genre de l'Union, celui-ci l'appelle nature, celui-là l'appelle hypostase, et cet autre personne.
Ayant donc vu que les peuples chrétiens dans leur totalité, malgré leur désaccord apparent, sont en fait profondément d'accord entre eux, sans la moindre différence, j'arrachai alors les racines de l'inimitié du plus profond de mon coeur, et je négligeai le débat dogmatique avec les gens.
C'était là le secret de Grégoire ibn-al-Ibri : ayant pris le temps de peser les différences qui séparaient le chrétiens de son temps, il en avait conclu, comme avant lui Ali ibn-Dawud al-Arfadi, que ces divergences dans l'expression ne méritaient pas que l'on nourrisse du ressentiment à l'encontre des autres chrétiens2.
Notes :
1Le “Livre de la Colombe" est destiné aux moines. Il se divise en quatre parties : 1. Des exercices corporels à faire au noviciat. 2. Du travail spirituel qui s'accomplit dans la cellule. 3. Du repos spirituel des "parfaits". 4. Récit du cheminement de l'auteur dans les sciences, suivi de 100 sentences mystiques.
2Pour plus de détails, voir la « récente » étude du P. Samir : Cheminement mystique d'Ibn al- 'Ibrî (1226 1286) , Extrait de PROCHE-ORIENT CHRÉTIEN, t. XXXVII (1987) pp.71 -89