Les traducteurs
De temps en temps, environ une fois par mois, j'anime un petit atelier sur l'Histoire de l'Eglise, pour quelques protestants du village.
C'est bon enfant, sans prétention.
On a survolé la période des "Apologistes", jeté un œil sur la question du canon des Ecritures, effleuré les grands conciles christologiques et les séparatismes (la crise arienne, puis les "nestorien", "monophysites" et même "monothélites")…
Et puis, puisque ça a fait irruption comme un violent orage dans la réalité chrétienne (pas en Gaule, ni même dans l'occident latin, mais dans tout le monde syriaque, copte, et grec), j'ai abordé l'islam.
Difficile d'être pondéré sur cette question, de se tenir à égale distance des propagandes de tous bords qui déforment les faits dans des visées de "rejet" ou "d'ouverture".
L'une d'elle resurgit, d'ailleurs, au cours de la dernière rencontre : ce serait grâce à l'islam, grâce aux efforts des musulmans que de nombreux textes de l'Antiquité nous seraient parvenus.
Comme toutes les légendes, tout n'y est pas faux, et il est vrai que nombre de textes des philosophes, mathématiciens ou médecins de l'antiquité ne nous sont parvenus que par le truchement de la langue arabe. Il est vrai aussi que cette transmission s'est effectuée dans le cadre des califats musulmans.
Là, vous commencez à vous dire que, s'il en est ainsi, de quoi est-ce que je me plains ?
Oh, juste d'un détail : les traducteurs n'étaient pas musulmans[1], mais chrétiens.
Ce sont en effet d'abord des lettrés chrétiens de langue syriaque qui ont traduit de ces textes du grec en syriaque puis, lorsque les armées d'invasion de l'islam ont imposé la langue arabe, de syriaque en arabe.
D'autre textes ont ensuite été traduits directement de grec en arabe, toujours par les lettrés chrétiens, et la plupart du temps, pour leur usage et celui des communautés chrétiennes. A dire vrai, il y eut aussi des traduction faites à la demande des dirigeants musulmans, qui se piquaient de culture comme Monsieur Jourdain se piquait de poésie, mais là encore, elles furent réalisées dans leur immense majorité par des chrétiens. Et, comment dire, c'est bizarre, mais cet aspect de la question est généralement "omis". Après tout, les chrétiens, c'est sans doute quantité négligeable…
Et puis, des "chrétiens d'Orient", il n'y en aura peut-être bientôt plus, alors, à quoi bon en parler…
Addendum : par un fait inattendu, l'excellent S. Treiger vient de mettre en ligne une étude (en anglais) sur les traductions de grec en arabe à Antioche, et en particulier sur le "kitab al-rawda", traduction des "Loci communes" du pseudo Maxime le Confesseur par le diacre Abdallah ibn-al-Fadl.
[1] De fait, les premières générations de l'islam étaient composées de gens plus habiles dans la guerre que dans le texte, et ce n'est que plus tard que naquit une sorte de désir de respectabilité "par la culture".