L'esprit d'abattement
Ce vendredi, je termine tôt.
Et pour tout dire, j'ai l'après-midi devant moi.
Le temps d'avaler quelque chose, et puis je pourrais…
En fait, non. Je n'ai pas le goût à grand-chose. D'abord, je suis fatigué, épuisé, l'impression de ne pas voir le bout du tunnel, d'avancer en vain sur un chemin sans fin. Pas de tourner en rond, non, mais plutôt comme ce type qui marchait au milieu du désert en se disant que, décidément, cette plage était vraiment immense…
Pourtant, j'en aurais des choses à faire : des carrelages à couper (mais au pire, ça peut attendre), des passages d'Evangile à commenter (mais il n'y a pas urgence), des documents à structurer pour un bouquin (mais depuis le temps que l'éditeur patiente, il attendra bien encore un peu… d'autant que je ne parviens pas à avoir les idées claires).
Ah, si, j'ai à mettre en ligne – pour le dimanche qui vient, c'est-à-dire après demain aux aurores – l'Evangile du jour, pour une page Facebook à laquelle je participe.
Bon, faire ça ou autre chose.
J'ouvre mon document source, clique pour aller récupérer le texte de l'Evangile (Tiens, ce sera "Dimanche de l'orthodoxie"… en fait, je le savais, mais …)
La procédure est simple : on récupère le texte du jour en question sur le site orthodoxe[1] "service liturgique", on en fait un "copier-coller" dans Facebook, on lui adjoint une illustration appropriée, et il n'y a plus qu'à programmer le jour et l'heure de parution.
Bon, le texte de ce dimanche sera, dans l'Evangile selon St Jean 1.43-51, lorsque Philippe emmène Nathanaël voir Jésus.
J'aime bien ce texte, Mais que prendre en illustration ? L'icône du Deuxième concile de Nicée, lorsque la légitimité de la vénération des icônes a été – une fois encore, au milieu des crises iconoclastes – reconnue ? Je pourrais, mais…
Je reviens au texte. Après tout, il est bref.
Philippe dit à Nathanaël : "Nous avons trouvé celui dont Moïse et les prophètes ont parlé"… et Jésus "Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'Homme !"
Si je prenais… la Transfiguration. Bon, ce n'est pas de saison, mais…
Bon, ça , c'est fait. Et Maintenant ?
Rien.
Je sors, espérant rencontrer quelqu'ami, histoire de discuter un peu, me dirige vers la maison d'untel (il n'y personne) puis, traversant la colline, passe chez unetelle (personne non plus !) continue à traîner mon cafard sur la route qui redescend, retourne chez moi. Sans envie, sans goût.
A peine suis rentré que Dame mon épouse arrive de son travail.
Fatiguée aussi.
Il est presque 18 heures.
Ça te dit qu'on aille aux vêpres chez les sœurs[2] ? Elle me regarde… faire ça ou autre chose… pourquoi pas.
Tiens, il y a des voitures… ah, oui, c'est le jour du mois où il y a une prière œcuménique…
Nous entrons dans la petite chapelle, c'est à peine commencé.
Je me sens vide.
Une personne lit une prière.
Puis, c'est la lecture de l'Evangile.
C'est curieux, ils lisent l'Evangile de la Transfiguration. Enfin, curieux, non : c'est la lecture proposée par leur liste, pour le dimanche qui vient.
Mais je me revois en train de choisir mon icône pour le dimanche de l'orthodoxie.
Si je m'étais abandonné à cet abattement qui me rongeait cet après-midi, je n'aurais pas préparé la publication de dimanche pour le groupe Facebook, je n'aurais pas non plus entendu cet évangile lu justement ce soir là.
Il n'y a pas eu de roulement de tambour, de coup de tonnerre, d'anges venant me bousculer. Juste le texte de la Transfiguration, et l'icône que j'avais choisi dans l'après-midi. Et le réconfort que, malgré l'âpreté du chemin, nous ne sommes pas seuls.
Et en y repensant, c'est bien un des thèmes de la prière de St Ephrem, que nous redisons chaque jour durant le Carême :
Seigneur et maître de ma vie,
Eloigne de moi l'esprit de paresse, d'abattement,
de domination et de vaine parole
*
Mais donne à ton serviteur
un esprit d'intégrité, d'humilité, de patience et d'amour
*
Oui, Seigneur Roi,
donne-moi de voir mes péchés
et de ne pas juger mon frère
Car tu es béni dans les siècles des siècles.
Amen.