Théophanie 2019

L'année commence, doucement.
C'était hier l'Office de la Théophanie, de la manifestation de Dieu au baptême du Christ.
Le texte du canon des matines est riche, profond. Il a une particularité non décelable dans les traductions : il est entièrement composé en vers iambiques, c’est à dire dans le mètre et souvent dans la langue de la tragédie du 5° siècle avant Jésus Christ (tout en observant pour l’essentiel les règles du dodécasyllabe byzantin, basé sur l’accent tonique, et non plus sur l’opposition des longues et des brèves)- mais dans les trois cas[1], les initiales des 135 (ou 130) vers, lues à la file forment deux distiques élégiaques (une autre forme très employée dans la littérature classique, et qui appelle ici une langue plus archaïsante encore et plus recherchée, jusqu’à des formes homériques).
Une telle composition représente le point extrême de la sophistication, du goût du pastiche, du double te du triple sens, du “texte sous le texte”, du collage, du clin d’oeil au lecteur érudit, une sorte de rituel de mots se pliant aux rites les plus artificiels et les plus contraignants pour effacer la distance des siècles, des cultures, des fois, pour exorciser et annuler le temps... Une expression indépassable de l’esprit byzantin, - et en même temps, réfracté dans ce jeu de prismes et de miroirs, un reflet authentique de l’âme byzantine, c’est à dire de notre foi.
A dire vrai, on n'en peut capter que des bribes, à seulement l'écouter dans l'église : il faut prendre le temps de le lire, au calme, de s'en imprégner.
Je ne vais pas vous mettre ici le texte de ce canon, mais juste, pour le plaisir, la traduction de l'acrostiche qui, dans l'original, est en deux distiques élégiaques:
Aujourd'hui, armé de la torche divine de l'Esprit
sans tache, le noble Fils du Tout-Puissant, consume
le péché en l'ensevelissant dans les flots, et à ceux qui Le célèbrent
par ces accents harmonieux Il accorde Sa grâce.
[1] Je cite textuellement la présentation que me fit, il y a bien des années, le P. Paramelle de ces "canons iambiques" de l'Office byzantin (il y en a trois, celui pour la Nativité, celui pour la Théophanie, et celui pour la Pentecôte) qui sont attribués (on ne prête qu'aux riches !) à St Jean Damascène.