Le timbre

Il y a des événement qui parlent plus à certains, moins à d'autres.
Par exemple, les 500 ans de la Réforme. En effet, c'est le 31 octobre 1517 que le moine de l'ordre des Augustins et docteur en théologie Martin Luther a affiché sur la porte de l'église de Wintenberg ses "95 thèses", donnant (sans en avoir la moindre envie ni idée) le coup d'envoi à un mouvement qui ébranla l'Europe occidentale, la "Réforme protestante".
Ce fut alors un temps d'affrontement théologique, idéologique et même politique : Luther fut excommunié, taxé d'hérésie et aurait sans doute connu le sort de Jan Hus et de Jérôme de Prague si le Prince Electeur de Saxe ne l'avait pris sous sa protection.
Si le débat fut âpre entre "catholiques" et "réformés", cette Réforme a eu aussi des conséquences dans l'Eglise orthodoxe puisque le Tsar Pierre le Grand – dans sa volonté d'occidentaliser son royaume – a fait appel à nombre de protestants, et que – par exemple, la traduction de la Bible validée par le Saint Synode est faite – pour l'Ancien Testament – sur le Texte Massorétique hébreu (lorsque cela est possible) et non sur la Septante, et que le Nouveau Testament s'est vu implémenter tel passage fort moderne...
Bref, si en tant qu'orthodoxe je ne me sens pas particulièrement ému par le cinquième centenaire de la Réforme, j'ai été étonné par un timbre que la Poste Vaticane vient d'émettre.
On y voit Luther et Mélanchton – qui naguère furent taxés d'hérésiarques, de possédés et d'antichrist[1] par Rome – au pied d'une croix, au pied du Christ en croix. Luther présente la Bible, probablement sa traduction en allemand, et Mélanchton la "Confession d'Augsburg" : ils sont, l'un et l'autre présentés comme des chrétiens, au pied du Sauveur.
Bien sûr, j'ai pu voir, sur quelques sites, que ce timbre fait hurler dans certains cénacles "ultra-catholiques", mais cela ne m'émeut guère : pour ces braves passéistes, les orthodoxes ne sont que des schismatiques qui doivent retourner dans le bercail romain s'ils veulent avoir quelque chance de salut, alors pourquoi s'étonner qu'ils repoussent les protestants de toute leur morgue ?
Par contre, ce timbre me semble un marqueur symbolique important : au delà de ce qui –aujourd'hui encore – peut diviser au niveau théologique, il y a une reconnaissance de ce qui est fondamental.
Luther comme Mélanchton – et on peut prolonger avec Calvin, Bèze et bien d'autres – étaient chrétiens, leur christologie était rigoureusement chalcédonienne, trinitarienne. Certes, ils avaient des conceptions très "personnelles" en matière d'ecclésiologie, d'hagiologie etc, et certains de leurs choix peu heureux ont eu de durables conséquences. Pour autant, leur piété était sincère, authentique. Fougueusement, maladroitement parfois (mais les circonstances de l'époque plaideraient sans doute quelque peu en leur faveur), ils étaient chrétiens, ils voulaient l'être, voulaient que leurs contemporains puissent l'être. Et nombre de leurs émules ont aujourd'hui encore le même désir, le même zèle.
Finalement, ce timbre nous montre deux chrétiens au pied de la Croix.
[1] Luther de son côté ne manquait non plus pas de qualificatifs peu élogieux pour interpeller le Pape et sa cour !