L'anomalie

A grands coups de rabot, de marteau et de scie, je prépare un cadre fixe pour une belle grande vitre récupérée il y a plus d'un an. A vrai dire, ça ne va pas aussi bien que je voudrais. Oh, je tiens le bon bout, je le sais, mais il fait chaud, je suis mal installé et pour tout dire, après ma journée de travail j'ai un peu de mal à être vraiment à ce que je fais. Alors, je décide de m'autoriser une pause. Laissant mon chantier, je descend d'un étage et arrive juste au moment où le téléphone sonne.
Allons, bon ! Je décroche. Une voix m'indique qu'il y a une anomalie dans mon dossier d'Assurance Santé et qu'un opérateur va me prendre en ligne.
J'attend, fort peu d'ailleurs, puis une voix de femme se présente, s'assure de mon identité puis m'indique qu'il y a un problème de carence au niveau de certains paiement. J'écoute vaguement, sans plus, en me demandant de quoi il s'agit et si Dame Cigale ne serait pas plus à même de répondre avec pertinence. La personne continue et me demande ma date de naissance. Sur le moment cela me semble inapproprié : la Sécu connaît de détail. Aussi, d'un ton plutôt rogue (mes histoires de bouts de bois qui s'emboîtent mal sont plus dans ma tête que les questions de Sécurité sociale) je fais remarquer à la brave dame que je ne vois pas pourquoi je donnerais ces informations, d'autant que – au final – je ne sais pas réellement qui m'appelle. A peine ai-je dit cela que bip, bip, bip... elle a raccroché.
Ce que je n'imaginais que confusément était juste bien réel : je ne sais pas quelle arnaque se cachait derrière cet appel, mais il y en avait manifestement une.
Et je tremble pour les personnes trop bienveillantes qui répondront gentiment aux questions de la petite voix du téléphone. Nul doute qu'elle y perdront quelque chose. Car c'est là, l'anomalie en question.
Pour un peu, je dirais "ô tempora, ô mores", mais ce serait m'illusionner : les temps actuels ne sont – hélas – pas pires que ceux qui ont précédé, et les moeurs d'hier n'ont rien à envier en terme de mensonge, de vilenie, malhonnêteté, friponnerie et autre escroquerie à celle de maintenant.
Alors, tant pis pour Cicéron : je continue – quelque peu inquiet et désabusé – avec le Sage (on dit que le mot est de Salomon) qui reconnaissait "Nihil novi sub sole"... il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
Mais je vais, dès que possible prévenir Dame ma Mère et Monsieur mon Père pour les mettre en garde contre ces abuseurs téléphoniques.