Anfractuosité

Casquette vissée sur le crâne, lunettes fumées sur les yeux, les mains délicatement gantées et la jupe bien serrée autours de la taille, je m'agite avec méthode. A droite, à gauche, à droite, à gauche, je m'efforce de me caler sur le rythme de Dame cigale, deux mètres devant moi, dans une tenue semblable à la mienne. j'ai beau la poursuivre avec persévérance, je ne gagne pas un pouce de terrain sur elle. Et pour cause ! nous sommes dans un kayak double et longeons par mer les calanques de Cassis (d'où la jupe).
La houle est tout ce qu'il y a de modérée, et notre petit groupe avance sans grande difficulté, encadrés que nous sommes par deux guides, nous éloignant et nous rapprochant des falaises, suivant les contours rocheux. Arrivés à la calanque de Morgiou, il nous faut stationner : le guide en chef nous désigne une anfractuosité dans le rocher : il y a là une grotte dans laquelle nous allons – un bateau à la fois – pénétrer puis ressortir.
Le ciel, sans être bas, n'est pas d'une luminosité intense. Et même, il tire quelque peu sur le gris. L'eau itou, d'ailleurs. Après tout, ça nous évite de trop rôtir au soleil.
Un kayak entre, puis ressort, puis un autre, sous la guidée vigilante de nos accompagnateurs. Vient notre tour, j'enlève les lunettes. L'entrée est étroite mais suffisante pour pénétrer dans cette pénombre. Peu à peu, les yeux s'habituent, et l'on voit la roche sombre tout autours, et l'eau noire en dessous. Arrivés au fond, demi-tour pour ressortir. Et là... c'est incroyable, fascinant : cette eau qui tout à l'heure était grise, puis noire est d'un bleu des plus lumineux. On dirait une pierre précieuse, une turquoise transparente, l'eau des lagons d'Océanie...
J'en oublie ma pagaie pour un instant que je voudrais sinon éternel, du moins durable.
Cette eau est la même que tout à l'heure, cette lumière la même aussi, et mes yeux n'ont pas changés : c'est juste le point d'où je regarde qui est différent, c'est juste d'être au bon endroit, dans la bonne direction qui me permet de percevoir ce qui était déjà là.
Et je pense à Dieu, à la prière, à la communion... A ces moments – trop rares – où Dieu se fait "sensible au coeur", pour employer le mot de Pascal, à ces moments – beaucoup plus fréquents – où le "ciel" sans être tout à fait bouché n'est pas des plus lumineux. Peut-être bien n'est-ce qu'une question de "point de vue", de "bonne position".
Mais il faut ressortir, et garder au fond du coeur cet émerveillement.