Le poète et l'assassin
Si chacun sait ce qu'est un assassin, tout le monde ne fait pas immédiatement le lien entre ce mot et Hassan ibn al-Sabbah, que les Croisés surnommaient "le Vieux de la Montagne"[1]. Pourtant, si "assassin" est aujourd'hui synonyme de meurtrier, il désignait à l'origine les "Assassiyoun" (ou "hachîchiyyin") une secte de musulmans[2] fanatiques et quelque peu terroristes, assassinant les puissants de l'époque, qu'ils soient vizir, émir ou calife sur ordre de leur chef Hassan ibn Sabbah. Eux-même ne craignaient pas la mort, convaincus qu'ils étaient qu'en obéissant à leur Sheik, ils gagnaient ainsi le paradis d'Allah[3].
Le poète, lui, est d'une autre trempe. Sa personnalité nous échappe quelque peu : Omar Khayyam était-il agnostique ou mystique ? Lettré et philosophe, en tous cas. Une autre chose est sûre : dans cet empire persan, il sentait un peu le fagot et ne devait sa tranquillité qu'à l'estime que lui portaient ses protecteurs : après tout, chanter le vin et l'amour des femmes en ses quatrains[4] ne lui valait guère l'estime des autorités religieuses.
C'est pourtant le destin croisé des ces deux hommes que l'auteur met en scène dans une bande dessinée – "Le sourire des marionnettes" – mettant à profit la parenté existant entre la "ligne claire" et la miniature persane.
Ce qu'il raconte relève plus de la légende que de l'Histoire, mais souvent la légende permet d'entrer dans l'Histoire... et puis d'ailleurs, c'est une BD, pas un ouvrage universitaire.
Le titre fait allusion au libre arbitre : sommes nous des marionnettes entre les mains de Dieu, sommes-nous au contraire les seuls maître de notre destin, ou la réalité se situe-t-elle quelque part, à distance variable de ces deux extrêmes ?
Ceci étant, si j'ai été bluffé par cette BD, Dame Cigale en a été un peu déconcertée.
Peut-être faut-il connaître un peu le contexte avant d'ouvrir ce très beau livre. Or, pour ça, l'auteur – Jean Dytar – a mis en ligne un beau petit site, chose suffisamment rare pour être signalée.
Par contre, il convient de se rappeler qu'Omar Khayyam chante l'amour des femmes et que le Vieux de la Montagne tient ses disciples par la promesse des Houris, avant que d'offrir étourdiment cette BD à un enfant.
Enfin, ma présentation est nécessairement insuffisante, aussi je donne le lien vers une autre, histoire de se faire une idée plus complète.
Notes :
[1] C'est ainsi que l'on a traduit le nom sous lequel il était connu, Sheik al-Jabal, qui signifie aussi le "Sage de la Montagne", ou encore le "Chef de la Montagne".
[2] Secte "ismaélite", pour être précis, c'est à dire dérivée du chiisme.
[3] Un passage du "Roman de Bauduin de Sebourc " (chant 13, p 359 ss) rapporte que le "Roi de la Montagne" demanda à Baudouin du Bourg (futur roi de Jérusalem) et ses compagnons venus lui rendre visite à Alamout, sa forteresse perchée au sommet d'une falaise, s'ils voulaient voir quelque chose d'admirable. Sur leur réponse affirmative, il fit venir un de ses hommes et lui fit signe de se jeter par la fenêtre, ce que le jeune homme fit, le sourire aux lèvres. Il se fracassa sur les rochers en contrebas. Le "Vieux" en fit sauter un autre, puis un autre et un autre encore, jusqu'à six, devant les yeux effarés de ses visiteurs. Puis, se tournant vers ses hôtes, il leur fit remarquer que ses hommes étaient prêts à obéir à chacun de ses ordres, et que "bien fou serait celui qui le courroucerait".
[4] Quatrains que j'ai lu il y a quelques années sans y trouver grand intérêt... A mon sens, ça ne vaut pas du Brassens.