La "Grande"

C'est la conjonction de deux textes.
Le premier, attribué à St Jean Damascène, je l'avais lu sans vraiment prêter attention à ce détail.[1]
Parlant des arabes d'avant l'islam, il écrit
"Ils étaient donc idolâtres et adoraient l’Etoile du Matin et Aphrodite, qu’ils ont appelée précisément Chabar dans leur langue, ce qui veut dire grande."
Non, vraiment cette désignation ne me disait rien.
Le second passage se trouve dans le "Dialogue d'Anba Jirji", un texte sur lequel j'ai commencé à travailler en 2011 et que j'espère pouvoir mettre en ligne avant la fin d'année.
"Ils adoraient alors une idole du nom d'Al-Akbar à qui ils offraient, en guise de prières, des poèmes sur les thèmes du désir et de l'amour, écrits sur des tablettes qu'il suspendaient à l'idole ; poèmes appelés "les sept Moallacats".
Si les "sept Moallacat" (ou Mu'allaqat), ces chefs-d'oeuvres de la poésie antéislamique ne me posèrent aucun problème, par contre, cette mention d'Al-Akbar comme divinité me laissa interrogatif.
En effet, "Akbar" est un qualificatif bien connu pour désigner "Allah" (Allahou akbar : Dieu est grand)
Mais là, il s'agissait du nom d'une idole.
Ne sachant quoi en penser, je laissais la question en suspens.
Et tout dernièrement, je tombe, sur un article dans lequel l'auteur citait le texte de St Jean Damascène dans la traduction sus-mentionné, mais en précisant le terme grec transcrit par "Chabar" : Χαβὰρ. Ce fut flagrant. Le terme Χαβὰρ ne se prononce pas "chabar" (ou "shabar") mais, à peu près "kabar" ; et ce terme est une grécisation de l'arabe "akbar", ce que la précision "qui veut dire grande" confirme d'ailleurs.
Or, le texte du Damascène désigne cette "kabar/akbar" comme étant Aphrodite".
Et l'équivalant arabe d'Aphrodite, comme le note déjà Hérodote[2] qui l'appelle Alilat (Ἀλιλάτ), c'est Al-Lat, une des divinités majeures du panthéon arabe préislamique, et dont le nom signifie simplement "La Déesse".
C'est seulement ensuite, par récupération que le qualificatif "akbar" sera appliqué à Allah par Mahomet, qui exprimera par ailleurs son dédain pour Al-Lat et deux autres des idoles de la Mecque, Al-Manat et Al-Uzza (en Coran 53.19-20).
N'empêche, la transcription "chabar" m'a longtemps masqué le sens de ce passage. Comme quoi, il n'est pas inutile de se référer au texte original !
Ah, l'illustration est un bas relief de Palmyre, représentant Al-Lat, "la grande" idole païenne.