Le sens de l'Eglise...
Dernièrement, je parcourais assez distraitement un article sur un danois du nom de Torben Søndergaard qui prétend réveiller les chrétiens par une "ultime Réforme".
Que les chrétiens doivent être éveillés[1], que les églises soient fidèles... c'est incontestablement un désir louable, une intention digne d'estime ! Pourtant, son projet "réforme" me laisse sceptique.
Sur quoi donc prétend-il se baser, pour faire mieux que ses prédécesseurs ? Sur la Bible.
Bon d'accord, mais les autres aussi. Alors ?
Alors rien. Il annonce l'Evangile, sans doute, et de cela, je ne peux que me réjouir. Pourtant, il s'illusionne : ce n'est pas sur la Bible, sur l'Evangile qu'il se base, mais... sur sa compréhension des textes bibliques. Sa simple compréhension, et, j'ose le dire, sur sa petite compréhension. Et au fond, c'est sans doute cela la faille de toutes ces "réformes" dont les milieux évangéliques sont d'inlassables pourvoyeuses : il n'y a pas d'ancrage dans l'Eglise, mais l'idée un peu mythique que l'Evangile est tombé du ciel et qu'il suffit de piocher dedans pour tout comprendre. Mais qu'est-ce à dire, "se baser sur la Bible" ? Lors de la Réforme protestante, au XVI° siècle, s'était faite jour une divergence dans ce que l'on appelait le "retour à l'Evangile" : tandis que Luther voulait maintenir dans l’Église tout ce qui n’était pas expressément contraire à l’Écriture, Zwingle voulait abolir tout ce qu’on ne pouvait pas prouver par l’Écriture.[2] Deux approches à la limite de l'irréconciliable... et que l'on rencontre encore aujourd'hui.
Dernièrement, j'ai lu un document qui, peut-être, pourrait nous donner la clef du problème.
Il s'agit d'un épisode peu connu qui eut lieu en Orient, à la toute fin du X° siècle.
Jean III Politès, évêque d'Antioche, avait adressé une lettre à l'évêque Théodore d'Ephèse, l'interrogeant sur la pertinence d'accorder le baptême et la communion aux tout-petits enfants du fait qu'ils "sont imparfaits selon l’âge" et que "ce n’est pas ainsi que le Seigneur a été baptisé et a légiféré".
A ces deux arguments, l'un d'ordre logique, l'autre d'ordre scripturaire, Théodore répond par des arguments scripturaires et de logique. Mais il ajoute – et même débute – par le "sens de l'Eglise" :
"Une chose qui n’a été empêchée ni par les divins conciles œcuméniques et locaux, ni par les autres divins Pères, de quel droit serait-elle à présent manipulée par quelques faux chrétiens et faux docteurs, qui s’appliquent à déplacer les bornes posées par les Pères".
Car, au fond, la question n'est de savoir si l'on peut autoriser le baptême des enfants et leur participation à la Communion, mais bien si – après mille ans de pratique ecclésiale – il est légitime de les en priver, de les empêcher de participer aux saints mystères, de les éloigner du Christ. Et la réponse de Théodore, c'est qu'une telle question est "illégitime et étrangère à la foi orthodoxe".
Néanmoins, puisque la question est posée, il y répond. Les enfants "sont imparfaits selon l’âge" ? Mais n'était-ce pas le cas pour Jésus lorsqu'il fut circoncis ? D'ailleurs, aux "Rameaux", tandis que les enfants innocents chantaient sa louange, ce sont des adultes qui réprouvaient le Christ qui d'ailleurs avait dit "Laissez les petits enfants venir à moi, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des Cieux" ?...
Et, ajoutant encore quelques arguments et citations, Théodore éclaire cette question comme d'une évidence, non pas en se lançant dans une démonstration à coup de versets mais en partant de la cohérence entre la vie de l'Eglise et l'enseignement des Ecritures...
La lettre – assez brève – présentée et traduite par Mme Vassa Kontouma est accessible sur Academia... (Longue présentation, texte grec... et traduction à la fin du document). Je ne peux que vous inviter à y jeter un oeil.
Notes :
[1] J'ai écrit "éveillés", pas "réveillés"...
[2] Merle d'Aubigné : Histoire de la Réformation, tome 3, p 268.