Tournure d'esprit
Il y a bien des années je tombais sur un livre écrit avant le concile Vatican II, dans lequel l'auteur – un prêtre – s'offusquait de devoir célébrer l'eucharistie "en tournant le dos à l'assemblée". Il faut croire que c'était dans l'air du temps, puisque peu après, suite à ce concile, les prêtres se mirent à célébrer "face au peuple". En fait, cela ne sembla pas suffire à l'auteur, puisque qu'il jeta par la suite la soutane aux orties.
Mais peu importe. Ce qui m'étonnais alors, c'est qu'un prêtre ait pu être devenu à ce point étranger à la tradition de son église qu'il ne sache pas "pourquoi" (et même "pour quoi") le prêtre célèbre tourné vers l'orient.
Quelques années plus tard, alors que Benoît XVI avait rédigé un document – un "motu proprio", si mes souvenirs sont justes – sur les formes de la liturgie dans l'église catholique, j'avais été profondément choqué par la violence des réactions, la brutalité des propos et le mépris qui s'exprimaient contre ceux qui, nécessairement attardés, obscurantistes et rétrogrades, trouvent qu'une telle forme de célébration n'est pas dénuée de profondeur théologique.
La célébration "dos au peuple", je connais puisque c'est de cette manière que le prêtre célèbre dans l'Eglise orthodoxe. Quoique, en fait, je ne connais pas.
En effet, je n'ai jamais vu le prêtre nous tourner le dos, mais bien prier avec nous, dans le même sens que l'assemblée. A moins de considérer que dans l'assemblée, le rang de devant tourne le dos aux personnes derrière, et ainsi de suite ?
Dans la liturgie, tous sont tournés vers Dieu. Sans doute, Dieu est partout, mais puisque nous avons un visage, une face, nous tournons notre face dans la même direction, qui est celle du Soleil Levant, de la Lumière qui dissipe les ténèbres de la nuit*.
D'ailleurs, durant la liturgie, le prêtre n'est pas en permanence tourné vers l'Est ; parfois il fait face à l'assemblée, pour les encensements, durant les la petite et la grande Entrée, durant l'homélie et bien sûr pour la communion et les bénédictions. Mais durant toutes le prières, le prêtre comme les fidèles, est tourné vers Dieu, vers le Sauveur : il ne saurait alors être le vis-à-vis de l'assemblée.
Je sais bien qu'en tant qu'orthodoxe je n'ai pas mon mot à dire dans ces questions internes à l'église catholique, mais la virulence des propos à l'époque m'avaient suffisamment ému pour que je prenne ma plume et écrive à un journal catho, en l'occurrence "La Vie", un billet qu'ils avaient publié.
J'y exprimai mon incompréhension devant le mépris que les propos tenus témoignaient contre les orthodoxes, mais, cela je pouvais le comprendre (après tout, nous ne sommes "que" des orthodoxes...). Par contre, mon étonnement frisait la stupéfaction, puisque leurs reproches amères visaient aussi nombre de catholiques. Je ne parle pas des "Tradis", qui rêvent d'une "France fille aînée de l'Eglise", nostalgiques d'un passé idéalisé, opposants habituel audit concile. Non, je parle de tous ces catholiques orientaux, maronites melkites, chaldéens et autres uniates, qui se sont rattachés à Rome au fil des siècle tout en conservant substantiellement leur rite : chez eux tous, les prêtres célèbrent face à l'orient. Mais sans doute, aux yeux de ceux qui ne trouvaient pas de terme assez méprisant pour flétrir la liturgie "dos au peuple", ceux-là aussi ne sont que des arriérés.
Dernièrement, un cardinal, "préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements" (rien que ça !) a appelé les prêtres catholiques à célébrer tournés vers l'orient**, l'enjeu étant de "remettre Dieu au cœur de la liturgie".
Et une fois encore, les mêmes réactions hargneuses se sont faites entendre... je me demande bien pourquoi...
Notes
* Cf Malachie 4.2. C'est pour la force de ce symbole que les églises sont "orientées"...
** Ou, plus précisément, tournés vers l'autel (et donc, dans le même sens que l'assemblée). En effet, de très nombreuses églises catholiques ne sont plus "orientées".