Collyre
Tout dernièrement, j'ai vieilli. Officiellement, cela va de soi.
Et comme j'ai "passé un cap", il n'y a pas trop de quoi jubiler.
Pour autant, Dame Cigale avait préparé dans le plus grand secret une petite réunion bien sympathique avec quelques proches : une balade sur un petit sommet proche qui domine les deux plaines, puis détente de type mastico-musicale où se mêlèrent violon, guitares, accordéons et djembé...
C'était dimanche.
Mais la date officielle, c'était mardi.
Et mardi, j'étais dans un jardin, à élaguer quelques branches basses d'un imposant tilleul. Enfin, basses... à presque 4 m du sol.
J'étais donc là, nez en l'air avec mon échenilloir dressé, tout en me demandant ce que le ciel me réservait pour mes années à venir quand... brûlure !
Je venais de recevoir une fiente d'oiseau bien fraîche dans l'oeil droit. Tout en pensant à Zadig[1], je me précipitai à tâtons chez la propriétaire du tilleul, suppliant que l'on m'amenât à un évier, que je puisse laver à grande eau cet oeil qui hurlait silencieusement.
Une fois la douleur apaisée, je repris mon ouvrage, tout en rassurant la dame, déjà âgée, qui s'inquiétait pour moi.
Pourtant, l'après midi, force me fut de d'aller voir le médecin : l'oeil suppurait avec vigueur. Le diagnostic fut clair : 7 jours de collyre antibiotique... et j'avais bien fait de ne pas attendre pour venir consulter.
Lorsque je racontais ma mésaventure à Monsieur mon père, il commença par supputer la probabilité que cela arrive puis ajouta, laconique : "Voila ce que c'est que d'aller se rincer l'oeil chez une vieille dame."
Note
[1] Une petite réminiscence de l'époque où j'avais lu les "contes philosophiques" de Voltaire : "Zadig était blessé plus dangereusement; un coup de flèche reçu près de l'oeil lui avait fait une plaie profonde. Sémire ne demandait aux dieux que la guérison de son amant. Ses yeux étaient nuit et jour baignés de larmes: elle attendait le moment où ceux de Zadig pourraient jouir de ses regards; mais un abcès survenu à l'oeil blessé fit tout craindre. On envoya jusqu'à Memphis chercher le grand médecin Hermès, qui vint avec un nombreux cortège. Il visita le malade, et déclara qu'il perdrait l'oeil; il prédit même le jour et l'heure où ce funeste accident devait arriver. Si c'eût été l'oeil droit, dit−il, je l'aurais guéri; mais les plaies de l'oeil gauche sont incurables."