Triomphe paradoxal
Hier, 14 septembre. Exaltation de la Croix.
Je pense à ces croix furieusement abattues par des "soldats d'Allah" en Syrie, mais aussi par des Femen en Ukraine*.
Comment ne pas se sentir troublé par ce déferlement de haine ? Et en même temps, comment s'en étonner ?
N'est-ce pas sur une croix que le Christ a été mis à mort, en un assassinat politique qui mettait un terme à la brève carrière de prêcheur du Galiléen.
Lui qui avait été annoncé par les prophètes et dont les miracles confirmaient qu'il était bien envoyé par Dieu ; Lui qui s'est refusé à lever une troupe armée non seulement pour propager la parole divine, mais même aussi pour se défendre, et qui appelait à aimer tous les humains, y compris ceux qui nous veulent du mal ; Lui qui s'adressait aux femmes avec respect et aux puissants avec liberté ; Lui, il fut crucifié. Une exécution qui signait l'échec définitif de sa mission.
Echec ? Définitif ?
En fait non.
"Par la mort il a vaincu la mort", et libérant ceux qui étaient captifs, prenant l'ennemi à son propre piège, il est ressuscité.
Alors, et alors seulement,
Par la Croix
la joie vient
dans la monde.
De gibet infâme, la croix devient alors le symbole de cette victoire.
Pas de triomphalisme martial toutefois : cette victoire n'est pas de celles qu'on enseigne chez les "va-t-en-guerre". C'est une victoire par-delà la défaite, une victoire qui défie la logique**, mais vraiment une victoire. Et même, la seule dont l'Eglise puisse se prévaloir.
Aussi n'est-ce pas un hasard si les meurtriers des 21 coptes, en février dernier, affirmaient déclarer la guerre au "Peuple de la Croix" : cette croix paradoxale, qui montre la faiblesse de Dieu... et en même temps sa victoire sur la mort.
Aussi lit-on, chez St Cyrille de Jérusalem***
"Loin donc de rougir du nom de Jésus crucifié, traçons hardiment de nos doigts sur notre front le signe auguste de la croix ; laissons-en l'empreinte partout autour de nous, soit que nous mangions ou que nous buvions, soit que nous sortions ou que nous rentrions, soit que nous nous couchions ou que nous nous levions, soit que nous agissions ou que nous nous reposions ; marquons le commencement et la fin de chacune de nos actions par ce redoutable signe. C'est une puissante sauvegarde, gratuite pour les pauvres, facile pour les malades. C'est une faveur spéciale de Dieu attachée à ce signe des fidèles, d'être la terreur des esprits infernaux ; c'est en ce signe que Jésus-Christ a triomphé des puissances de l'enfer. Déployez-le audacieusement devant eux. A cette vue ils se rappellent aussitôt Jésus crucifié ; ils redoutent celui qui écrasa la tête du serpent. Ce signe auguste ne doit rien perdre de son prix à vos yeux en raison de sa gratuité ; votre reconnaissance envers votre bienfaiteur n'en doit être que plus vive. "
A ceci, j'ajoute à ceci un bref passage d'un traité arabe**** de Théodore Abu Qurrah, dont j'avais donné le début, il y a trois ans :
"La croix est devenu un signe de reproche envers Satan, un de ceux tel qu'il n'en est pas de plus grand, dans la mesure où Satan avait l'habitude de se vanter de sa sagesse, et de la manière dont il avait, par sa ruse, fait chuter Adam – lui qui avait été créé à l'image de Dieu – et comment il avait ainsi pris possession du monde entier. C'est pourquoi nous montrons à Satan le signe de la croix afin de lui reprocher son ignorance, puisque c'est justement par le moyen de la croix que nous avons été sauvés de l'esclavage de Satan, et ce dernier continue à avoir honte par rapport à la croix, de sorte qu'il est même incapable de la regarder.
Imaginez un homme qui va partout racontant qu'il est le plus héroïque, le plus vaillant et le plus noble des hommes. Un jour, ses ennemis l'ayant combattu le vainquent en lui infligeant une cuisante défaite et l'ayant fait prisonnier, lui rasent la barbe.
Etant ensuite parvenu à s'échapper, il retourne à son lieu d'origine, où il étalait ses vantardises.
S'il se trouve à cet endroit une personne qui, d'un simple geste évoquant le rasoir qui la dépouillé de sa barbe lui rappelle ce qu'il a eu à subir de ses ennemis, n'en sera-t-il pas mortifié ? C'est en ce sens que nous faisons le signe de la croix, en forme de reproche à Satan."
Notes
* Pour les croix (et autres signes de présence chrétienne) détruites par DAECH et consort, voir par exemple cette compilation de vidéos de propagande des "soldats d'Allah", pour la Femen ayant tronçonné une croix catholique érigée en mémoire des victimes de Staline, voir par exemple ici.
** Si vous êtes sages (enfin, surtout, si e trouve le temps de le faire) je vous donnerai un jour la traduction du passage concernant cela dans le premier traité grec de Théodore Abu Qurrah, "Sur les cinq ennemis dont Jésus Christ nous a délivrés".
*** Cyrille de Jérusalem, Catéchèses baptismales 13.36
**** Traité arabe inédit "Contre les gens du dehors", section 5.