Le débat.
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Ils sont nombreux, massés sur les gradins du "palais des congrès", nombreux à être venus écouter l'orateur principal (en l'occurrence le Dr Zakir Naik), de cette journée, de ce congrès des musulmans.
Sa conférence est terminée, c'est maintenant le moment des questions du public.
Un homme se lève pour demander le micro. Christopher, c'est un chrétien.
"La bible dit qu'il faut obéir à Jésus pour avoir la vie éternelle ; le coran dit qu'il faut obéir à Mahomet... est-ce que Jésus s'est trompé ?"
Il l'a préparée, sa question, comme un piège pour coincer l'orateur, ou du moins l'embarrasser, lui faire perdre contenance.
L'orateur l'a écouté et, souriant, lui répond. Non, Jésus – paix soit sur lui – ne s'est pas trompé. Jésus – paix soit sur lui – est un grand prophète, un envoyé de Dieu, comme Mahomet – paix soit sur lui.
Le ton est courtois, la manière avenante. Il poursuit. Non, c'est l'Eglise qui s'est trompée, car Jésus n'a jamais dit qu'il est Dieu. Non, il a dit "Le Père est plus grand que moi" (Jn 14.28), "le Fils ne peut rien faire de lui-même" (Jn 5.19) ... Le débit est rapide, il enchaîne les citations de l'évangile, références à l'appui, comme autant de coups qu'il porte aux certitudes de Christopher, ne lui laissant pas le temps de respirer.
Il poursuit. En fait, ce sont les musulmans qui aiment vraiment Jésus – paix soit sur lui – pas les chrétiens : Jésus – paix soit sur lui – ne mangeait pas de porc, les musulmans non plus ; Jésus – paix soit sur lui – était circoncis, les musulmans aussi... et toujours avec références bibliques à l'appui.
Le public est ravi, enchanté, enthousiaste ; l'ambiance est bon-enfant, sympathique, mais l'orateur enfonce le clou. Si vous pouvez me convaincre par les Ecritures que Jésus – paix soit sur lui – a dit qu'il était Dieu, alors je suis prêt à devenir chrétien. Sinon il vous faut devenir musulman.
Et l'orateur poursuit par l'annonce, par Jésus lui-même – paix soit sur lui –, de la venue d'un "autre consolateur" (Jean 14.16), qui n'est autre que Mahomet – paix soit sur lui. Prudent, il ne s'aventure pas à affirmer que ce texte prédirait le "nom" de Mahomet, mais conteste qu'il désigne le Saint-Esprit. La charge a été vive, fougueuse. L'orateur s'adresse à Christopher : croit-il, maintenant ?
Quoique bien secoué, Christopher répond que non, qu'il ne croit pas que Mahomet soit un prophète. Il tente même de renverser la charge en faisant remarquer que la Bible ne nomme pas Mahomet comme prophète à venir.
Et l'orateur qui n'attendait que ça porte le coup d'estoc. Bien sûr que si, Mahomet – paix soit sur lui – est nommé. Dans le Cantique des cantiques, chapitre 5 verset 16... je vous cite le verset en hébreu... "Hiqo mamtaqim vekoulo mouhamadim..." Vous entendez, "Mouhammad", c'est son nom, la terminaison "im" est une forme pour le respect... c'est traduit par "bien aimé"...
Christopher est livide... il n'a jamais entendu parler de ça, il ne peut accuser l'orateur – toujours affable – de mensonge.
Que compte-t-il faire ? Vérifier.
Veut-il demander à l'Eglise ? Non, il veut juste vérifier.
Le triomphe de l'orateur est total, absolu.
Oh, bien sûr, il ne compte pas vraiment que Christopher devienne musulman, à la limite, ce n'est pas cela l'important : il a affermi son public dans la conviction que la bible et le coran sont en parfait accord, et que cet accord, c'est la religion musulmane. Il a démontré que l'on peut – avec aisance et élégance – vaincre les chrétiens avec leur propres textes. Mieux ! Nul, parmi les centaines de personnes présentes – hommes et femmes - n'aura désormais la curiosité de chercher dans la Bible des réponses à d'éventuelles questions, puisque l'orateur – si érudit qu'il peut citer la bible en hébreu – les renvoie vers le coran.
Et même si Christopher revenait le lendemain pour lui tenir enfin tête (au risque de se faire de nouveau laminer), le mal est fait.
Pourtant, la lutte (dans laquelle Christopher s'est jeté tout seul) était inégale puisque l'orateur avait l'avantage du micro et décidait du moment où il donnait la parole à Christopher, ce qu'il faisait quand il l'avait bien entraîné dans un tourbillon de citations, avant de vite reprendre la parole sans lui laisser le temps de retrouver ses esprits.
Mais Christopher aurait-il pu répondre ?
Dans ce contexte, c'est peu probable. Mais à vrai dire, à tête reposée, ça ne pose guère de problèmes.
Je ne vais pas en faire l'analyse complète, juste relever trois des points sur lesquels l'orateur a basé sa "démonstration".
- Car, en fait, qu'a démontré l'orateur ? Que Jésus était un homme ? Nul ne le conteste. Mais est-ce là tout ce qu'il y a à dire sur Jésus ?
Jésus a-t-il dit "Je suis Dieu" ? Non, sans doute. Mais lorsqu'il dit "le Fils ne peut rien faire de lui-même", il ajoute immédiatement : "il ne fait que ce qu'il voit faire au Père; et tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement." (Jn 5.19)
Quel prophète pourrait faire "tout ce que Dieu fait" ?
Mais bien sûr, l'orateur s'est bien gardé de citer le verset complet.
Car s'il est vrai que Jésus dit "Le Père est plus grand que moi", il parle en tant qu'humain. Mais quel humain ressuscite des morts, arrête des tempêtes, donne sa vie pour la reprendre, annonce sa résurrection ? Aussi les Pères de l'Eglise (cette Eglise que l'orateur accuse de s'être trompé) ont-ils longuement médité sur les textes qui montrent l'humanité du Christ en parallèle de ceux qui montrent sa divinité avant d'exprimer au Concile de Chalcédoine la synthèse de cette lecture attentive, paisible, en une formule parlant de la "double nature du Christ", pleinement Dieu et pleinement homme.
- Ensuite, il est question de l'annonce de la venue de Mahomet par Jésus. Mais le texte de St Jean ne permet pas de voir dans ce "consolateur" un homme.
En effet, le texte cité par l'orateur ne se limite pas à annoncer la venue d'un Consolateur. Il précise qu'il s'agit de l'Esprit de Vérité, et qu'il demeurera éternellement en eux et aussi que les apôtres le connaissent déjà.
" Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu'il demeure éternellement avec vous, l'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous. "
Or, incontestablement, les apôtres ne connaissaient pas Mahomet, qui d'ailleurs ne demeure pas avec, et encore moins "en" ses disciples.
- A la toute fin du débat, il y a la prétendue "prophétie" tirée du Cantique des cantiques.
Sa validité est du même tonneau. Le texte dit " Son palais n'est que douceur, et sa personne est pleine de charmes."
Certes, le mot "מַחֲמַדִּ֑ים" ("maḥamadim") ressemble au nom de Mahomet en hébreu (Mouḥamad "מוחמד", on trouve même la graphie "מֻחַמַּד"), mais ce n'est pas l'annonce de qui que ce soit ; c'est juste une assonance. Mieux, si l'on suppose qu'il s'agit d'un nom propre, la phrase n'a alors plus aucun sens ("Sa personne est pleine de Mahomets").
Car "maḥamadim" est un pluriel (la terminaison "im" est la marque du pluriel masculin et non une "marque de respect comme le prétend abusivement l'orateur). Y aurait-il plusieurs "Mahomets" ?
Enfin, "maḥamadim" signifie "charmes", "attraits", "ce qui est plaisant" et non pas "bien aimé" (ça, c'est le mot "dodi", un peu plus loin).
Bref, rien à voir, ni de près ni de loin avec Mahomet, même si cette fantaisie (déjà signalée par Pfander, en 1835) se répand dans les milieux musulmans...
NB :
Si j'ai rendu, au mieux que j'ai pu, ce petit débat dont j'ai vu la vidéo sur FB, c'est afin de rendre perceptible la manière dont – avec une érudition de pacotille et un peu de talent – on peut déstabiliser un contradicteur. Je dois avouer que j'étais moi-même perturbé en la regardant, ne parvenant pas à mettre mes idées en ordre sous le feu roulant des références assénées. Juste, je pensais à mon bon Théodore Abu Qurrah, qui était familier de ce genre de débats, et qui y était préparé.
A ce propos, je vous donne un petit extrait tiré du recueil grec du "diacre Jean", en rappelant que le verset dont il est question ci après est : "le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu'il voit faire au Père; et tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement."
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Le sarrasin : Le Christ a dit : "le Fils ne peut rien faire de par soi même, s'il ne le voit pas faire par le Père". Comment peut-il donc être Dieu, celui qui – selon vous - ne peut rien faire par lui-même ?
Théodore : Peux-tu voler dans les airs ?
Le sarrasin : Non
Théodore : Si voyant un aigle voler dans les airs, tu pouvais toi aussi de la même manière t'élever dans les airs et voler comme lui, lequel de vous deux provoquerai plus d'étonnement : toi ou l'aigle ?
Le sarrasin : Moi
Théodore : Par conséquent le Christ est plus surprenant que ton Dieu.
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Je terminerai en signalant une traduction française à télécharger du "Mizanu'l Haqq" (La Balance de vérité") du pasteur Pfander, un ouvrage de 1835 qui compare christianisme et islam. (Et que je n'ai pas encore lu...)