Ibn Arabi versus Boko Haram
C'était l'autre jour. Furieux, ulcéré, bouleversé, je rentre du travail après avoir entendu que les "possédés"* du Boko Haram ont enlevé plus de 200 lycéennes et que leur chef entend les vendre comme esclaves "au nom d'Allah", ou de les marier de force… probablement aux membres du groupe.
J'ai beau être un partisan du dialogue et de l'échange, j'enrage. Seule la réflexion de la grande Cigale me ramène à la réalité : "Tu sais, il faut prier pour ces filles, mais aussi pour les kidnappeurs." Bien sûr, elle a raison.
N'empêche !
De retour au travail, je tombe sur un papier qu'un interlocuteur d'un instant m'a laissé le matin même. Lui, il est libanais d'origine, maronite, et surtout fort sympathique. Ne sommes-nous pas allés un jour avec Dame Cigale, à son invitation, boire un café libanais dans sa demeure ?
Il aime bien partager, dans les quelques secondes que durent nos échanges, telle pensée qui lui plait, qui lui parle.
Je dois le dire, je n'ai guère d'attirance pour l'islam et suis peu enclin à aller chercher l'inspiration dans la littérature musulmane. Mais d'un autre côté, il me faut bien avouer que parfois je me délecte de telle phrase de Brassens, qui n'est pas précisément un pieux chrétien.
Or, le texte qu'il m'avait laissé est une belle citation d'Ibn Arabi.
Je l'avais lu quand il me l'a donné, mais les nouvelles des fous kidnappeurs me l'avaient fait oublier.
Je le relis :
Mon cœur est capable de prendre toutes les formes :
C'est une prairie pour les gazelles,
Un couvent pour les moines chrétiens,
Un temple pour les idoles,
La Kaaba du pèlerin,
Les tables de la Thorah,
Et le livre du Coran.
Je professe la religion de l'Amour.
Encore une fois, même si le texte est beau, je ne m'y retrouve pas. Mais à tout prendre, je préfère mille fois un voisin comme Ibn Arabi avec qui il sera possible de discuter et qui, même en cas de désaccord formel ne cherchera pas à me trancher la gorge, qu'avec un de ces intégristes du Boko Haram pour lesquels il n'existe que l'islam ou la mort.
Pas leur mort, la nôtre.
Et au final, je suis reconnaissant à mon interlocuteur d'un instant de m'avoir remis ce texte : il m'empêche de succomber à la facilité d'une condamnation aveugle, imbécile, de tout ce qui se rattache de près ou de loin à l'islam, doctrine et personnes.
Quand à savoir si l'occident est "haram" (au sens "interdit", voire "impur" du terme حَرَام), je laisse à chacun le soin de d'y réfléchir, et de savoir dans quel type de société il souhaite vivre.
Note :
* J'écris les "possédés", au sens du titre du roman de Dostoievsky "Бесы", qui désigne ces anarcho-révolutionaires du XIXe siècle qui ont finalement fait le lit de la révolution bolchevique de 1917, et des années de dictature qui s'en sont ensuivies. Le titre du roman a aussi été traduit "Les démons"