La cuillère
Son assiette posée devant lui, il mange.
Quoique relativement précis, son geste est curieux.
Curieuse aussi, sa cuillère : un manche d'au moins 40 cm, assemblage de tiges en demi-cercle, comme un étrange meccano. A la fin du repas, il la replie et la remet dans sa poche.
Puisque j'étais à côté de lui, je lui posais la question qui me brûlait les lèvres : que lui était-il arrivé ?
Accident de moto, bras brisés, articulations bloquées, soudées…
Naïvement, je lui demande s'il n'y aurait pas moyen de se faire opérer pour que le coude redevienne fonctionnel.
Lui : "Tu vois mon bras droit ?"
Non, je ne le vois pas, et pour cause.
Lui : "Tu comprends, après mon accident, j'avais les deux bras bloqués, soudés à l'articulation des coudes. Les chirurgiens ont opéré le bras droit, une vraie réussite… sauf que durant l'opération j'ai attrapé un staphylocoque doré. Et là, ils ont du m'amputer au-dessus du coude. Alors, tu comprends, même bloqué, même tordu, c'est le seul bras qui me reste, et je ne veux pas prendre le risque de le perdre aussi."
Ceci expliquait bien l'aspect curieux de son signe de croix, un peu plus tôt, à l'Eglise, un signe de croix fait de la main gauche, bien sûr.
C'était il y a plusieurs lustres, et je ne me souviens plus de son nom.
Pourtant, j'ai pensé à lui dernièrement, en entendant parler des virus bactériophages.
Des drôles de virus qui s'en prennent uniquement à des bactéries… et qui à ce titre peuvent être utilisés dans des protocoles médicaux.
Le genre de traitement pas encore autorisé en France… mais qui aurait pu lui sauver son bras droit…