Les prénoms

Publié le par Albocicade














Comme il m'est précédemment arrivé de le signaler (ici, , ou encore ), je vois pas mal de choses lorsque je suis à mon poste de travail.

Par exemple des prénoms.

Bien sûr, il y a les classiques : Jean-Elie, Thérèse, Patrick, Marie, Robert, Isabelle ou Maurice...


Il y en a de  plus rares, comme Théodora ou Sava...

Et puis il y a les carrément rarissimes.

Dernièrement, mon regard s'arrête sur... Tersilla.

Non seulement la personne - d'un âge respectable - qui porte ce nom n'a pas grand chose à en dire (à part que c'est d'origine italienne), mais elle semble regretter cette ignorance.

C'est vrai que passer sa vie comme un hapax...

Intrigué (après tout, l'Italie n'est pas un pays si barbare que ça), je lui promet de m'en occuper.


Après quelques recherches en italien, qui m'apprirent ce prénom signifie étymologiquement "celle qui vient de Tarse en Syrie" (ce qui explique qu'il se décline en diverses autres graphies comme Thersilla, Tarsilla, Tharsilla ou encore Thrasille), je finis par découvrir dans les "Petits Bollandistes", pour la date du 24 décembre, une petite hagiographie basée sur un texte du neveu de cette Ste Tarsille.

J'ai donc retrouvé cette "38e homélie sur les Evangiles" de St Grégoire le grand (ah oui, le neveu en question était pape de Rome au VIe - VIIe siècle), et je vous livre en cadeau (pour vous et toutes les Tersilla que vous connaissez) le passage que j'ai remis à la "mienne".

Elle semblait réjouie quand je lui ai donné le document... peut-être en aurais-je des nouvelles un jour ?


Extrait de l'Homélie 38 sur les évangiles


Mon père avait trois sœurs, toutes trois vierges consacrées. L'une s'appelait Tarsilla, l'autre Gordiana, la troisième Æmiliana. Toutes trois, entrées en religion avec la même ardeur et consacrées en même temps, s'étaient donné une règle très stricte et menaient la vie commune dans leur propre maison. Comme elles se trouvaient depuis longtemps dans ce genre de vie, Tarsilla et Æmiliana se mirent à grandir de jour en jour dans l'amour de leur Créateur : seul leur corps demeurait ici-bas, tandis que leur âme passait chaque jour un peu plus vers les biens éternels. L'âme de Gordiana, au contraire, commença à laisser refroidir en elle de jour en jour l'amour de la vie intérieure, pour retourner peu à peu à l'amour de ce monde. Tarsilla disait souvent à sa sœur Æmiliana, en pleurant beaucoup : «Je vois que notre sœur Gordiana ne vit pas en harmonie avec nous; je dois bien reconnaître qu'elle se laisse aller aux choses du dehors, et que son cœur ne garde pas ce qu'il s'était proposé.» Les deux sœurs prenaient soin de corriger Gordiana chaque jour par de tendres remontrances, pour la faire revenir de sa légèreté de mœurs à la gravité qui convenait à son habit. Celle-ci reprenait sans doute sur le coup un visage grave quand on la réprimandait, mais sitôt l'heure de la réprimande passée, la vertu de gravité qu'on voulait lui imposer passait elle aussi, et Gordiana revenait à la même légèreté de parole. Elle se plaisait dans la société des jeunes filles du monde, et la compagnie de celles qui n'étaient pas mondaines lui pesait beaucoup.

Mieux que ses sœurs, ma tante Tarsilla s'était élevée à l'honneur de la plus haute sainteté par sa prière continuelle, son application à se mortifier, son abstinence peu commune et la gravité de sa vie vénérable. Or, une nuit, comme elle l'a raconté elle-même, mon ancêtre Félix, qui a été évêque de cette Eglise de Rome, lui apparut dans une vision et lui montra le séjour de la clarté éternelle, en lui disant : «Viens, car je vais te recevoir dans ce séjour de lumière.»

Bientôt, saisie par la fièvre, elle arriva à son dernier jour. Et comme, lorsqu'une femme ou un homme noble se meurt, beaucoup de personnes se rassemblent afin de consoler leurs proches, à l'heure de la mort de ma tante, hommes et femmes affluèrent nombreux autour de son lit; ma mère y était aussi. Tarsilla leva soudain les yeux, et voyant Jésus qui venait, elle se mit à crier à ceux qui l'entouraient, sur un ton de vif reproche : «Partez! partez! Jésus arrive.» Et pendant que son regard était tendu vers celui qu'elle voyait, sa sainte âme quitta son corps. Aussitôt se répandit un parfum si merveilleux qu'il apparut à chacun par cette odeur délicieuse que l'Auteur de toutes délices était venu là. Quand le corps de Tarsilla fut dévêtu pour être lavé, comme il est d'usage pour les morts, on trouva que la peau était durcie aux coudes et aux genoux, comme celle d'un chameau, par suite de ses longues prières. Ce que son âme avait fait tout au long de sa vie, sa chair en témoignait après sa mort.

Tous ces événements se déroulèrent avant la fête de la Nativité du Seigneur. La fête en étant passée, Tarsilla apparut bientôt en vision à sa sœur Æmiliana au cours de la nuit, et elle lui dit : «Viens! J'ai déjà dû fêter Noël sans toi, maintenant je voudrais fêter l'Epiphanie avec toi.» Æmiliana, qui se souciait du salut de sa sœur Gordiana, lui répondit aussitôt : «Si je viens seule, à qui vais-je confier notre sœur Gordiana?» Mais à son objection, Tarsilla répéta avec tristesse : «Viens, car notre sœur Gordiana est destinée à prendre place parmi les femmes du monde.» La maladie suivit de peu cette vision et fit de tels progrès qu'Æmiliana mourut avant l'Epiphanie du Seigneur, comme il lui avait été dit. Quant à Gordiana, dès qu'elle se retrouva seule, ses vices s'accrurent, et le mal qui était jusque-là caché au fond de ses mauvais désirs parut désormais dans le désordre de ses actions. Au mépris de la crainte du Seigneur, au mépris de toute pudeur et de tout respect de soi, au mépris enfin de sa consécration, elle épousa par la suite le fermier de ses terres.

Voyez ces trois sœurs : elles s'étaient consacrées à Dieu dans un même mouvement de ferveur, mais elles ne sont pas demeurées animées d'un seul et même zèle. C'est que, selon la parole du Seigneur, «beaucoup sont appelés, mais peu sont élus». Je vous ai raconté ces choses pour que ceux qui accomplissent à présent de bonnes œuvres ne s'en attribuent pas le mérite, et ne mettent pas leur confiance dans leurs actions. Car s'ils savent aujourd'hui ce qu'ils sont, ils ignorent encore ce qu'ils seront demain. Nul ne doit donc se réjouir dès à présent de ses bonnes œuvres comme s'il en était sûr : tant qu'il demeure parmi les aléas de cette vie, il ne sait comment il finira.


Publié dans Vie quotidienne

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