L'étoile du matin (et celle du soir)

Publié le par Albocicade

Un soir, alors que nous étions dans notre maison au fond des bois depuis peu de temps, j'ai été frappé par une lueur étonnante peu après la tombée du jour, visible de la fenêtre du séjour.
Tellement brillante que je suis sorti pour essayer de comprendre. Ce n'était pas, comme je l'avais supposé un instant, la lune, mais une étoile incroyablement brillante, presque grosse, plus visible en tous cas que toutes les autres autours.
Vérifications faite, c'était Vénus. Je ne l'avais encore jamais remarqué... il faut dire que je ne passe pas mes soirées le nez en l'air à contempler les cieux après la vesprée.
Moi non, mais bien d'autres l'ont fait, au cours des siècles, et ont constaté la présence de cette "étoile" extraordinaire que l'on voit à la tombé de la nuit et qui annonce aussi le jour naissant.
Et dans l'Antiquité, supposant qu'il s'agissait de deux corps célestes différents, on lui avait donné deux noms : Éosphoros (Ἑωσφόρος) pour le matin et Hespéros (Ἓσπερος) le soir. Enfin, ça, c'est chez les grecs. Chez les latins Hespéros, l'étoile du soir est devenu Vesper (d'où le nom de "vêpres" pour la prière du soir) tandis qu'Éosphoros, l'étoile du matin, celle qui annonce la lumière du jour reçut le nom de … Lucifer. Ben oui, quoi, "Lucifer", ça signifie "qui porte la lumière" en latin.
Alors là, j'en vois deux ou trois qui ont un air contrarié.
Pourtant, c'est bien ce que l'on trouve au psaume 109 dans la Septante, psaume qui décrit la "Génération éternelle et la victoire pascale du Christ" comme l'indique le P. Placide Deseille1.
On y lit, au verset 3 : "De mon sein, je t’ai engendré avant l’étoile du matin".
Ce que St Augustin explique ainsi, commentant ce verset "Cette étoile est prise ici pour tous les astres, comme la partie se prend, dans l'Ecriture, pour le tout, et toutes les étoiles par la plus brillante. Mais pourquoi ces astres sont-ils créés ? "Pour servir de signes, pour marquer les temps, les jours, les années". Si donc les astres sont des signes qui marquent les temps, et si l'étoile du matin désigne ici les astres, ce qui est avant cette étoile précède aussi les astres, et ce qui est avant les astres est encore avant les temps; et ce qui est avant les temps est donc de toute éternité". Et il le fait en utilisant le nom latin classique de cette étoile, Lucifer, puisque, comme il le précise ailleurs "Lucifer, c'est le nom d'une étoile"2.
Mais, me diront certains parmi vous, "Lucifer" n'est-il pas pris comme un nom propre ? Si fait !
Un nom de qualité même ! Car il y a des prénoms chargés de sens, et "Porte-lumière" pour signifier au sens figuré "qui porte la vérité" (ou "qui annonce la vérité") en est incontestablement un. Et on en connaît au moins deux qui ont laissé une trace dans les premiers siècle : d'une part le quelque peu rigoriste évêque Lucifer de Cagliari au IV° siècle, et d'autre part un sous-diacre du même nom qui a transmis et modernisé la Vie d'Euverte, évêque d'Orléans au VI° siècle.
Voila, c'est tout.
Ah, non ?
Bon. C'est vrai.
Le mot a aussi connu une autre évolution, et c'est – hélas – ce sens qui vient immédiatement à l'esprit de qui le croise aujourd'hui.
En effet, c'est l'interprétation d'Isaïe 14.12 dans sa version latine
Quomodo cecidisti de caelo lucifer qui mane oriebaris corruisti in terram qui vulnerabas gentes
Comment es-tu tombée des cieux, Etoile du matin, fille de l'aube du jour? toi qui foulais les nations, tu es abattue jusques en terre.
jointe à Luc 10.18
Jésus leur dit: Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair
qui a fait de Lucifer le nom d'un ange déchu pour s'être rebellé contre Dieu, finalement identifié à Satan.
Et c'est un peu dommage.
Deux notes :
1Les Psaumes, prière de l'Eglise. Le psautier des Septante traduit et présenté par le R.P. Placide Deseille, éditions Tinos, Athens, Greece. Cette édition non datée est la réédition de celle parue en 1979 aux YMCA Press, Paris.
2Augustin : "Discours sur le psaume 109", PL 37.1458 et traité "De la grandeur de l'âme".
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