Réforme orthographique

Tempête dans un verre d'eau !
Au dire de quelques sourcilleux, d'infâmes destructeurs de la culture procèderaient à un "nivellement par le bas", déclenchant l'ire des gardiens de la vraie, de la belle langue, les défenseurs de l'ortho-graphie mentionnés au début.
Mais que savent-ils des mots et de leur histoire, ces Tartarins du dictionnaire ? D'où tiennent-ils l'idée qu'une langue est un ensemble fixé, figé, immuable ? Sans doute de leurs lectures... qui ne doivent pas remonter bien plus haut que 1960.
Savent-ils, ces atrabilaires de la règle, que si "évènement" prend un accent grave, c'est uniquement parce que l'imprimeur du Dictionnaire de l'Académie Française manquait de "é" pour terminer le volume ? (Bon, du coup, il y a un grand flottement sur l'orthographe, puisque les éditions suivantes on écrit "événement"... de sorte que les deux écritures sont admises.
Ont-ils jamais, puritains du tréma, prononcé le "e" de "aiguë" ?
Qu'ils se plongent dans les éditions du XVI° ou XVII° siècle, ces aficionados du fixisme graphique, pour découvrir une langue française comptant non pas 26, mais 27 lettres ! Je ne parle pas de ce "s" élancé que les néophytes prennent pour un "f", mais bien du "Eszett" ce ß qui est usité en remplacement de "ss", lettre conservée par nos voisins de Germanie.
Alors, qu'ils lisent du Rabelais, du Ronsard, du Ambroise Paré, du Calvin, non pas dans des éditions modernisées mais dans la langue d'origine, et peut-être comprendront-ils, ce hargneux du circonflexe que ce sont finalement eux – si du moins on doit s'en tenir à leur règle fixiste – qui écrivent mal le français*.
Tien, ça m'agace. Un tel foin pour une réformette.
Du coup – que l'on me pardonne – je ressors un billet publié en 2010, sur une des toutes premières réformes dont nous ayons la trace : celle d'Archinos.
A son époque, on écrivait "comme bœufs en labour" : partant de la gauche, on allait jusqu'au bout de la ligne, puis, pour la ligne suivante, on repartait dans l'autre sens. Soit directement, les lettres se suivant alors de droite à gauche, soit en retournant la feuille (enfin, la tablette !) , auquel cas les lettres se suivaient de gauche à droite, mais à l'envers. On appelle cette manière d'écrire le "Boustrophédon"**.
Bien sûr, une telle manière d'écrire (que l'on connut non seulement en Grèce, mais un peu partout) était déjà un progrès par rapport à l'apprentissage par coeur des textes à transmettre, mais nécessitait une sacré gymnastique intellectuelle, non seulement pour écrire, mais aussi pour lire.
Bref, en 403 avant note ère, à Athènes, Archinos est à l'origine d'un arrêté selon lequel toutes les lignes d'un texte doivent pouvoir être lues dans le même sens (de gauche à droite, en l'occurrence) et ce sans avoir à tourner le document dans tous les sens.
La décision d'Archinos ne concernait primitivement que les textes juridiques, mais finit par s'appliquer à tous les écrits.
Bien sûr, je n'étais pas là quand cet arrêté a été promulgué, mais j'imagine…
J'imagine les réactions des uns et des autres…
Le corps professoral des écoles de scribes se met à clamer que c'est une honte, qu'enseigner à lire "uniquement dans un sens", c'est le début de la décadence, et qu'une fois encore, on procède à un nivellement par le bas !
Des représentants de la CUPMH (Confédération Unitaire des Poètes, Mythographes et Historiens) déplorent publiquement une mesure qui va faire tomber dans l'oubli les plus beaux textes que les générations futures ne sauront plus lire, et annonce que cette réforme prépare un peuple amnésique !
Des groupes de croyants crient au scandale en voyant que de hauts responsables du clergé même se laissent entraîner dans cette mascarade, abandonnant la Tradition de leurs pères pour adopter une écriture bâtarde dans le but de complaire au pouvoir politique.
Des économistes prédisent de graves problèmes dans la mesure où les contrats passés avec d'autres cités deviendront illisibles pour la jeune génération.
Enfin, des sociologues de renom viennent sur l'agora expliquer qu'une telle mesure ne peut que créer une rupture, un fossé infranchissable entre les générations.
Bon, finalement ça c'est passé quand même.
Note :
* On trouve tous ces textes gratuitement sur books.google.com
** Pour le boustrophédon, voir l'article wikipedia.